Concert and Co - Décembre 2003
Dans quel état d’esprit
êtes-vous avant de partir pour cette longue tournée française ?
Thomas
Fersen : "Je suis en plein dedans en fait, j’ai commencé le 26 septembre.
Je n’avais pas tourné pendant 21 mois, donc je suis super content de revenir
sur scène.
Comment se sont passés vos
concerts à
C’était
bien, la salle affichait complet. Il y avait une semaine debout, une semaine
assis. On a enregistré le spectacle pour faire un dvd. Mais c’est déjà du passé
malheureusement…
Avec un peu de recul, quel
regard portez-vous sur votre dernier album, Pièce montée des grands jours ?
Il
représente encore bien ce que je suis en ce moment. Mais, j’ai déjà envie de
faire autre chose. C’est normal, dès qu’on fait son retour sur scène, les
envies reviennent : les gens nous donnent envie de faire des choses. J'aimerais
approfondir avec un autre disque les nouvelles idées, les nouvelles directions
et les nouveaux arrangements que j’ai essayés sur le nouvel album. C’est encore
un petit peu tôt, mais j’y pense beaucoup !
C’est
quelque chose que j’avais en moi, j’ai toujours eu ce goût-là. C’était le
moment, mes textes aussi étaient un peu plus crus et directs, je pouvais donc
arranger mes chansons avec ce genre d’instrumentation. C’est justement dans ce
sens que j’ai envie d’appuyer un peu encore dans l’avenir.
Bah,
ouais (rires) ! En fait, j’ai pris le temps de faire ce que voulais. En
général, les déceptions viennent surtout des contraintes de temps et d’argent.
Mais là, on a fait attention avec les sous, on a préparé l’enregistrement, on a
répété avant. A chaque fois, on prépare le mieux possible car le studio, il
faut savoir où on met les pieds : on a un budget, une fois qu’il est épuisé, il
est épuisé ! Après, pour la réalisation, je savais où j’allais, j’ai pris du
recul pendant l’enregistrement.
Non,
je ne suis pas un fou du laboratoire. J’aime bien tout ce qui est
enregistrement en lui-même mais après, tout ce qui est post production,
traitement, ce n’est pas ce que je préfère. J’ai quand même accompagné le
disque jusqu’au bout. Les joies de jouer sur scène et d’enregistrer la musique
sont plus intenses pour moi que de faire des tris après. J’ai donc plus envie
de jouer de la musique que de la produire.
Je
n’ai pas de regrets mais il fallait que je change, cela faisait déjà trois
albums que je travaillais avec Joseph. Ceci dit, ça fait toujours partie du
spectacle, c’est quelque chose de précieux que je garde, qui fait partie de mon
travail. Je suis très content d’avoir ça dans mes disques. Je me rends compte
(mais je le savais déjà !) que les arrangements de Joseph apportent énormément
au spectacle.
Il
y en a un petit peu moins qu’avant, vous voulez parler de Croque, c’est ça ?
C’est une marche. Comme c’est une histoire de croque mort, je voyais bien une
musique comme ça, c’est la musique qui est venue illustrer le texte. J’écoute
en effet de la musique tzigane, pas plus que ça non plus, mais un peu. J’ai
toujours mis du folklore dans mes chansons, je trouve que ça illustre bien.
C’est agréable à jouer en plus.
Mondino,
je le vois seulement une fois avant la photo, il écoute quelques chansons avant
qu’on se voit, et puis on se revoit pour la séance et hop c’est fini ! On ne se
revoit que deux ans plus tard ou quatre ans ça dépend… A chaque fois c’est une
grande partie de plaisir, j’adore son univers. En plus, quand on fait les
séances, on rigole beaucoup. Mais on participe vraiment à un moment de
création, c’est sérieux ; de temps en temps, il y a des moments assez intenses.
C’est un visionnaire, ça me fait plaisir de lui confier à chaque fois mes
pochettes. Il fait des choses un peu décalées qui ne sont pas toujours faciles
à assumer par la suite pour moi…
Oui
(rires), par exemple ! Mais en même temps je suis assez fier d’avoir des
visuels qui ne soient pas très conformistes. Je trouve qu’il faut être
audacieux sinon on est très vite fade et surtout interchangeable : sans cela,
toutes les pochettes se ressemblent au bout d’un moment.
La
bouffe c’était moi, La grande bouffe, c’est lui. Le
film a été rediffusé à la
télévision, il l’avait vu quand il était
jeune et ça l’avait marqué. Il m’a dit
: “ dans les années 70, on voyait vraiment un
cinéma qu’on ne comprenait pas
mais qui nous faisait réfléchir, ce qui n’est plus
le cas aujourd’hui ”. Il
voyait bien une femme comme Andréa Férréol dans La
grande bouffe avec des
spaghettis dans le dos, il avait pensé aussi à la
tête de cochon. Finalement,
on a retenu ces deux photos, c’était fort !
En
fait, j’apparais, parce que ça a été fait
avec un système qui s’appelle Motion
Capture. Je portais une combinaison noire avec de capteurs,
j’étais dans un
cercle de caméras infrarouges, mes mouvements étaient
enregistrés et
retranscrits sur un ordinateur avec des petits bâtons. Il y avait
donc un
squelette qui s’animait sur l’ordinateur,
c’était le mien. Autour de ça, ils
ont dessiné ce que vous avez vu dans le clip. C’est assez
rigolo car je me vois
vraiment bouger. J’ai un problème avec le clip : quand on
raconte une histoire,
elle est souvent contradictoire avec la chanson et puis il y a un
problème de
réalité et d’irréalité. Quand
c’est dessiné, on sait tout de suite que c’est
irréel, c’est beaucoup plus fluide, je trouve. Je pense
que c’est pour cette
raison que l’animation a du succès.
Déjà,
quand je la chantais accompagné de ma guitare, je la trouvais assez directe.
C’est une chanson qui a été arrangée très facilement alors que d’autres, comme
Né dans une rose, m’ont demandé beaucoup de travail.
Non,
c’est parce que j’ai fait Triplex entre les deux albums, ça m’a pris du temps.
Et puis j’ai beaucoup tourné avec l’album précédent, j’ai fait 150 dates. Ça
m’a pris quatre ans mais je ne suis pas resté quatre ans chez moi (rires).
Non,
il n’y a plus rien de tout ça, c’est du passé malheureusement. La table de
camping est toujours là par contre (silence)… Elle est pliée dans un coin.
Ce
n’est pas un défi, je pense qu’il peut y avoir une poésie là-dedans aussi…
J’essaie de la détecter, c’est ça qui m’intéresse : aller un peu en dehors,
évoquer des choses qu’on ne trouve pas dans les chansons et le dire sans que ce
soit une pose...
C’est
une façon d’être insolent… Dans mes références et mes images, j’aime bien faire
appel aux grands thèmes : que ce soit la religion, l’amour, la pauvreté, le
vol, l’immigration ou les animaux. J’ai toujours fait ça ; la religion, ça fait
partie des points de repère et puis ça permet de positionner mon personnage.
Mais j’ai le sens du sacré aussi… sans avoir forcément la foi.
Non,
c’est la vie… J’aime
J’essaye
d’avoir une écriture imagée... Je me suis rendu compte que ça touchait les
enfants, mais je n’écris pas pour eux. Les enfants sont sensibles aux images,
aux rythmes, aux élisions, à ces ellipses qu’il y a dans la chanson paillarde.
C’est vraiment la forme qui m’a le plus séduit, plus encore que les histoires
de nichons et tout ça. Dans certaines phrases par exemple, “entre les seins,
direction quéquette ”, cette ellipse-là, elle est extraordinaire. D’un seul
coup, on passe des seins à la quéquette avec le mot “ direction ”, ça marche :
il y a une connexion qui se fait dans l’esprit. C’est ça que j’essaie de faire
et les enfants y sont sensibles. C’est un peu technique, vous voyez ce que je
veux dire (rires) ?
La
chanson paillarde pour moi, c’est comme la chanson engagée
: ce n’est pas
quelque chose qu’on retrouve sur un disque. La chanson paillarde,
quand c’est
sur un disque, c’est sinistre : on n’écoute pas
ça chez soi, à moins d’être un
peu demeuré ! C’est quelque chose qu’on partage avec
le groupe ; d’un seul
coup, il y a une espèce de communion, les esprits
s’échauffent et c’est parti…
On me demandait toujours si j’avais écouté les
grands maîtres de la chanson
française... Par insolence, j’avais répondu que
non, c’était la chanson
paillarde qui m’avait initié, ce qui est vrai, en plus.
C’est comme ça que j’ai
découvert la chanson, à l’école communale,
à la maison on n’en écoutait pas. J’ai
un répertoire de chansons paillardes assez long dans lequel
j’aimais briller.
Ça se sent dans mes chansons : elles ont cette forme, ces
structures. Je ne dis
pas qu’elles ont le contenu mais elles ont la rime, elles sont
toujours au
présent. Elles contiennent des ellipses, des
élisions… Elles sont construites,
ce ne sont pas des phrases qui évoquent des choses, c’est
une histoire, il y a
une chute, un côté ritournelle. C’est pour ça
que j’ai vraiment rencontré la
chanson quand j’étais gamin.
J’étais
assez fébrile… Je trouve que c’est dans des périodes comme ça où les gens sont
déstabilisés que l’histoire peut prendre un tournant et basculer. En 1914,
quinze jours avant la guerre, personne n’y croyait et pourtant ils y sont tous
partis… La mort de Jaurès a tout changé. Après les moments de troubles comme
ça, il y a toujours des grandes gueules pour dire : “ c’était impossible que Le
Pen passe ”. Mais je crois que c’est facile d’avoir cette opinion
rétrospectivement !
Courageux,
oui et non. Je ne suis pas forcément apolitique mais je trouve que ce n’est pas
la place de la chanson. Moi, j’ai toujours un problème avec ça, je ne veux pas
parler au nom des autres. Ma chanson, elle fait l’objet d’un disque qui est
distribué dans le commerce et qui est soutenu par une industrie. A partir de
là, j’ai des scrupules à écrire certaines choses. Surtout, je ne sais pas le
faire, ni donner une forme qui soit artistiquement dans la continuité de ce que
je fais. Ça serait en dehors et ça ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse dans
la chanson, c’est de fabriquer quelque chose, ce n’est pas de proclamer quelque
chose.
Mais
c’est Vincent Frèrebeau qui a de la chance de travailler avec moi (rires). Le
label tôt Ou tard s’est fait autour des Têtes Raides et de moi-même, on était
chez Warner et on a été ses premiers artistes. C’est comme ça que le label tôt
Ou tard s’est créé autour de nous au bout de deux/trois ans. C’est sûr que
c’est une rencontre qui est unique dans ma vie, on s’est construits ensemble.
Maintenant on est un peu plus vieux, c’est quelque chose qui sera unique dans
notre vie, je pense.
On
se connaît parce qu’on se voit à travers le label. J’apprécie certains, ça
dépend si on parle humainement ou artistiquement. Vous savez, j’ai cet espèce
de réflexe d’être toujours en dehors et assez orgueilleux… Cela s’accompagne
d’une absence de commentaires sur mes confrères.
Ah,
oui, je suis très très curieux de ce qu’il se
passe, pas seulement en France
d’ailleurs. Je m’intéresse aussi au Québec et
aux Etats-Unis, un petit peu
moins à l'Angleterre… Quand j’étais plus
jeune, je préférais ce qui venait
d’Angleterre mais maintenant, c’est moins le cas, je trouve
qu’ils sont un peu
trop poseurs les Anglais ! J’aime bien ce qui se passe à
New-York en ce moment.
J’aime la scène de New-York en général, il y
a plein de groupes qui ont ce côté
un peu punk que j’aime bien. Je n’apprécie pas les
groupes qui sont inspirés ;
Les génies, ça me fatigue, les chapelles, aussi ! Je
n’aime pas avoir
l’impression d’être à l’église ou
à la messe quand j’écoute une chanson. J’aime
bien le côté populaire, gouailleur, joyeux, direct,
généreux qu’avaient les
Clash par exemple… On retrouve ça aujourd’hui dans
certains groupes
new-yorkais.
Oui,
régulièrement. Enfin, un peu moins parce que je connais bien. Mais quand il y a
un album de Tom Waits qui sort, je l’achète ! Randy Newman, pareil… Et les
Beatles aussi, mais je crois qu’ils sont séparés…
En
ce moment, j’écoute des vieux disques de Neil Young : j’aime assez réécouter
After the gold rush, c’est un beau disque, il a un côté direct et simple. En
même temps, c’est tellement lié aux souvenirs de jeunesse que l’on a parfois un
peu de mal à démêler son propre goût de sa nostalgie…
Non,
il est passé plein de fois mais je me suis rendu compte que j’étais passé à
autre chose. J’aurais certainement eu du plaisir à le voir sur scène. Je ne
sais pas s’il chante encore ses vieilles chansons.
Ça
c’est quelque chose qui me touche… J’avais été voir McCartney il y a dix ans et
j’y suis retourné cette année, ça fait quand même quelque chose d’entendre des
morceaux qu’on écoutait quand on avait dix ans !
Ah,
oui ! Je les fais parfois sur scène à la fin. Il y a des chansons de Tino
Rossi, Luis Mariano, Julio Iglesias, une chanson que chantait Michel Simon,
j’aime bien faire ça…
Que
ça rend heureux, que ça donne la pêche. Les gens qui me racontent qu’ils
mettent le disque le matin et que ça leur fout la pêche, je trouve ça super.
Moi même c’est ce que je recherche dans la musique : mettre un disque et danser
dans ma baignoire.
Si,
parfois, mais en ce moment je suis moins là dedans. La complaisance qui va avec
ça m’agace. Je vous l'ai dit, les inspirés, c'est pas mon truc !
J’aimerais
bien jouer mieux du piano, comme ça toc, avec un petit coup de baguette
magique, sans travailler !
Quel regard portez vous sur
vos 10 ans de carrière ?
Je
n’ai pas tellement envie de faire un bilan, ça voudrait dire que je suis arrivé
quelques part. Si je suis arrivé quelque part, j’allais pas bien loin !
Réécoutez-vous vos disques
?
Ce
n’est pas quelque chose que je fais volontiers, je le fais très rarement. Je
les écoute quand je suis à la radio et qu’on passe ma chanson. Le problème,
c’est que comme je les joue sur scène, la nouvelle version prend la place de
celle du disque donc quand je réécoute le disque je suis étonné par le tempo
d’une chanson, son intention. Parfois je trouve que ça ne vit pas, que la
chanson est devenue autre chose avec moi car mes oreilles se sont transformées,
ont évolué vers autre chose. Je ne referais pas certaines chansons de certains
disques, mais je ne regrette pas de les avoir faites.
Oh
oui, je pense que le principe même de faire du spectacle, c’est la générosité.
Dès l’instant où c’est pour soi, ça se voit, la lumière est là pour le montrer.
C’est pour ça que c’est assez fatigant finalement : on a envie de donner
beaucoup aux gens qui sont venus et qui ont payé leur place.
Pierre Andrieu