C'est un disque de cow-boy ! Entre deux notes d'harmonica, une ogresse mal embouchée remplit la gamelle des gars à leur descente de cheval (Elle fait rarement sa toilette/ Elle est sans religion/ Mais elle fait les meilleures galettes/ De Lanmeur à Lannion), la drôle de silhouette d'un squelette, tout droit sorti d'un jour des morts mexicain, croise celle d'une chienne fessue et pétomane. L'esprit du grand ouest peut-être, puisque Thomas Fersen vit désormais une partie de l'année en Bretagne... L'autre versant de l'album est plus lyrique : la voix poignante de Catherine Ringer, des chœurs, un hymne à l'amour (La chapelle de la joie)... Le sens du sacré, du mythe rejoint celui du troublant Roi des Aulnes de Michel Tournier. Avec, en fil d'Ariane, la folie qui sommeille en chacun, prête à se réveiller...
LE FIGARO ETUDIANT.– Pourquoi la folie ? Thomas FERSEN.–
Je me suis
rendu compte que ce métier attirait beaucoup de dingues. Et pas seulement les
gens qui y travaillent... Il y a aussi ma propre folie. Je ne me sens pas fou.
Mais on a l'impression parfois qu'on marche au bord, qu'il y a du vide autour de
soi, qu'un pourrait tomber, glisser.
C'est le propre de tous les artistes ?
Non. C'est un germe qui est
à l'état latent chez chacun. Je compare ça à la mérule. J'ai eu la mérule dans
ma maison... C'est un espèce de champignon lignivore qui est capable de
transpercer la pierre pour aller chercher de l'eau dans le bois ou ailleurs. Des
pans entiers de mur peuvent s'écrouler. Des immeubles peuvent tomber. La mérule
existe à l'état latent et attend des conditions favorables pour se développer.
Il faut un lieu confiné, humide, avec des infiltrations d'eau. Parfois la folie
ne se développe jamais. Parfois elle se développe et le mur s'écroule. C'est une
image que je me suis faite mais je ne suis pas un spécialiste. Peut-être que ça
ferait sourire un psychiatre.
Vous n'avez pas eu envie d'en rencontrer un ?
Non, car ce n'est pas
la folie clinique qui m'intéresse, c'est la folie à l'état de fleur. Elle donne
parfois de jolies fleurs.
Yacinthe est-il un cousin de Bambi ?
C'est la peinture d'un
personnage. Je me suis posé la question mais Hyacinthe possède son identité
propre, assez singulière et détachée de celle de Bambi. Lorsque j'étais enfant,
nous habitions une cité, dans le 20e arrondissement de Paris. Il existait un
quota de logements pour les famille de handicapés moteur ou mental. Il y avait
des figures ! Du coup, nous étions habitués. Mais nous n'étions pas spécialement
tendres. Hyacinthe est inspiré en partie d'un homme que mes sœurs appelaient «
le baveux ». Elles étaient terrorisées quand elles le croisaient dans
l'escalier.
Il y a beaucoup de possessifs dans les intitulés de vos
chansons...
C'était bien entendu volontaire. Il y en avait même plus au
départ. Je n'ai pas la gale s'appelait Mon ogresse. Il y avait Mon Yacinthe, Ma
Zaza... Cela vient du fait que je parle de mes marottes, mes modèles. Je ne les
ai pas gardés car je trouvais cela un peu redondant.
Dans Zaza, vous êtes « gros Thomas », c'est la première fois que vous vous
mettez en scène dans une chanson...
Oui, ce chien je le connais, il
existe. C'est le chien d'un ami à moi, en Bretagne, un bâtard jaune. Il est
curieux, il me suit et vient parfois dormir sous mon lit. J'avais envie, comme
je le fais toujours, de mettre des éléments de ma vie qui font plaisir à mon
entourage car il s'y reconnaît, des choses que je partage avec les gens qui
m'entourent.
Dans Maudie, le choix d'un prénom-adjectif est-il volontaire ?
J'ai
lu beaucoup de littérature américaine ces deux dernières années. Il y avait
souvent des fous et Maudie est bien un nom de femme folle, un peu fragile, à la
Blanche Dubois dans Un tramway nommé désir. Je le sentais comme ça. Je ne suis
pas sûr que ça vienne de là mais on peu aussi songer à un sentiment de
malédiction.
Vous n'avez pas réussi à vous débarrasser de votre bestiaire...
Ca,
ça m'emmerde ! Je m'en rends bien compte mais il faudra que j'assume un jour ou
l'autre. Et pourtant j'étais convaincu d'avoir fait la chasse...
Reste que le squelette court comme un poulet sans tête, le papillon
s'appelle Pégase...
N'y a-t-il pas chez les autres autant d'animaux que
chez moi ? Je n'en sais rien. Il m'est impossible de parler sans qu'un animal
déboule dans la conversation.
Où êtes-vous allé chercher un iguanodon ?
C'est le symbole de la conscience archaïque qui existe dans notre
cerveau, au même titre que la conscience civilisée.
Parfois elle se réveille les soirs de détresse ou
d'angoisse, ou d'ivresse ou de pleine lune. Et mène un monsieur
très bien dans une maison de complaisance où il va
demander à être fouetté ou à rencontrer une
prostituée déguisée en infirmière ou en
écolière. C'est ça mon ignanodon, c'est la
BÊTE ! (rires)
Le sacré est particulièrement présent dans plusieurs chansons...
Je
suis très sensible au sacré. Le sens du sacré par exemple, dans le rapport entre
l'assassin et sa victime, dans la terreur. Une question morale intervient,
délicate. C'est une chose que j'ai comprise en lisant de la poésie, Genet
surtout : le fait que le beau n'avait rien à voir avec le bien. C'est une chose
qui me travaillait car j'éprouvais une culpabilité à voir le beau dans ce qui
n'était pas forcément le bien. On m'avait, à l'école, induit en erreur, en me
faisant confondre la poésie avec le bien. Alors qu'il y a Les fleurs du mal,
Lautréamont...
Les mélodies de cet album paraissent plus immédiatement
accrocheuses...
C'est vrai que c'est plus mélodique qu'autrefois.
J'essaye de moins faire de chansons à long texte, comme Le chat botté, avec
finalement une rigidité dont je m'accommode moins.
Une facilité quand même, vos deux rimes avec « fenêtre à guillotine
»...
Je savais qu'on allait me le dire. La « fenêtre » était à la base
dans La chapelle de la joie qui, si elle avait été finie, aurait dû figurer dans
l'album précédent. Et l'image du squelette qui s'en va par la fenêtre à
guillotine, c'était tentant, non ? Et puis, au nom de quel principe, n'aurais-je
pas le droit de dire deux fois « fenêtre à guillotine » !
Propos recueillis par Céline Fontana, 27 septembre 2005